Mais pourquoi donc j’ai eu cette idée ???
Nous sommes en septembre 2018. Meilleur Poto est un vrai randonneur, qui adore la montagne. Moi, je suis une vraie voyageuse, qui adore la montagne aussi. Nous avons un week-end en commun, c’est l’occasion de partir ensemble pour partager ce que nous adorons tous les deux.
Mais pourquoi cet endroit là ???
« - Et ce topo là, qu’est ce que tu en dis ?
- Non. Pas assez long. On va s’ennuyer.
- Et celui-là ?
- Non. Pas assez haut. C’est une rando de Piou-piou ça.
- Et là, ça ne te dit pas ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce que.
- T’es chiant quand même.
- Ah ! J’ai trouvé ! Celle-là !
- Celle où ils disent « randonneurs montagnards, cordes et piolets conseillés »???
- C’est pour faire peur aux néophytes !
- Et ça fonctionne bien !!! »
286 messages plus tard, Meilleur Poto m’a proposé le Pic du Midi de Bigorre, 2876m, 4h aller-retour, 800m dénivelé, niveau marcheur. Une courte, sans un trop gros dénivelé, niveau Piou-piou. J’accepte !
Vendredi 17h30
J’ai été insupportable toute la journée. Pire que mes patients. Ce soir, je pars en camping-car pour la première fois de ma vie.
A midi, je suis allée faire des courses. Des pâtes. Des bières. Des barres de céréale. Et des pompotes. Le kit de survie.
Une bonne heure plus tard, j’arrive chez les parents de mon ami. Nous démontons ma voiture pour en mettre le contenu dans le camping-car. Son père me souhaite un « bonne chance » qui m’inquiète un peu.
Meilleur poto conduit. Nous avons la musique. Nous papotons. Nous avons plein de choses à nous dire, nous ne nous sommes pas vu depuis une semaine. Le week end d’avant, nous buvions des bières en cyclofestival. Celui encore d’avant, nous buvions des bières au bord du lac pour mon onzième anniversaire de mes 26 ans. La vie est belle.
Il fait nuit, il pleut, il y a du brouillard. Nous avons cessé de parler. Il serait temps d’arriver maintenant. Il est concentré, il pilote le camping-car dans les virages de la route du Col du Tourmalet. Il y a des vaches, je les prends en photo pour m’occuper. Elles n’apprécient pas le flash. Elles ne sont pas contentes, s’agitent sur la route et nous bloque. Meilleur poto râle, je ris.
Nous arrivons. Nous nous calons entre deux camping-car. Des pâtes. Une bière. Et au dodo. Il paraît que demain, nous nous levons tôt.
Samedi 04h30
Une rando Piou-piou qui commence à 5h du mat’, ce n’est pas une rando Piou-piou. Je râle, Poto (à cette heure-ci, ce n’est pas le Meilleur) rit.
Je ne suis pas du matin, je ronchonchonne. Je ne trouve pas mes lentilles de contact, je ronchonchonne. J’ai envie de faire pipi, je ronchonchonne. J’ai froid, je ronchonchonne. Poto Moqueur me sert un café, je ronchonchonne. Pour la forme. Car c’est l’heure où je me couche normalement.
Nous démarrons en retard. J’ai trop trainé. Poto Chiant râle, moi aussi.
Nous suivons un large chemin, impossible de se planter. Nous avons des frontales, des blousons de ski et je suis chaussée de mes vieilles chaussures de rando qui m’accompagnent depuis 15 ans. Elles sont collector.
Il fait des grands pas. Il a de grandes jambes. Le bougre. Je ne râle pas, sinon je n’ai pas assez de souffle pour le suivre.
En chemin, nous éteignons les frontales. Le ciel est magnifique, il y a plus d’étoiles que je n’en ai jamais vu. Je désigne la Grande et la Petite Ourse, la constellation d’Orion qui apparaît à l’horizon dans ce ciel de presqu’automne. J’ai une petite pensée pour mon père qui me les a apprises, ça me permet de faire une pause de trois minutes pour récupérer sans que Poto (et encore, je ne suis pas sûre qu’il mérite ce qualificatif) ne s’en aperçoive. Je lui inventerai bien la constellation du Chameau, de la Loutre à Cinq Pattes et du Castor Poilu pour gagner quelques instants de pause, mais il ne va jamais me croire.
Nous repartons. Mon ami me montre le Lac d’Oncet en contrebas. Sans doute. Il fait nuit, je ne vois rien. Il pourrait bien me montrer un chapiteau de cirque rouge et jaune, je ne ferais pas la différence.
Je me souviens du topo lu quelques jours plus tôt. La pente va s’accentuer après le lac. Je prends une grande inspiration et je me lance.
Nous avons quitté le chemin, ça monte rude. Ca monte très rude. Poto (il est encore trop tôt pour l’appeler meilleur) n’arrête pas de parler, je me tais. Comment mon ami mutique peut-il se transformer en pipelette dès que ça grimpe ? Moi, c’est l’inverse. Je ne peux pas décrocher un mot, sinon, je fais un AVC.
Il m’a devancé. Je vois juste la lumière de sa lampe. Ca monte encore. Je dois mettre les mains. Mon coeur cogne. Ma tête va exploser. Mes jambes tirent. Et je souffle comme un buffle. Ou un rhinocéros. Ou un truc comme ça qui doit souffler vachement fort.
Dans le peu qui me reste de cerveau, je me dis que je suis très mal barrée. Nous avons marché 1h30 et je ne suis pas capable de tenir une rando Piou-piou. La journée va être longue.
Nous faisons une micro-pause. Il se marre, je me meurs.
Ça reprend un peu plus soft. Je respire. Avec les deux narines, la bouche et même surement les oreilles. Mes jambes m’insultent. Mon sac à dos est plus lourd que moi. J’aurais dû laisser la bière dans le camping-car.
Le Pic du Midi se dessine depuis un bon moment déjà. Méchant Poto s’arrête prendre des tonnes de photos, j’agonise. Je ne pleure pas, comme quand je m’étais fait une entorse au genou sur la piste Piou-piou au ski. Sinon, il va penser que je suis un boulet et il ne voudra plus venir avec moi.
Il me prend en photo. C’est malin. Je rampe sous une canalisation. Je pense que je ne vais jamais pouvoir me relever. De toute ma vie. Au moins.
Ce sont les derniers mètres. Je les effectue sans m’évanouir. Je suis vivante. Je ne peux en douter. Mes poumons vont exploser et mes jambes sont en feu.
Samedi 07h00 (environ, je meurs, je ne peux pas regarder l’heure)
Le soleil se lève sur la mer de nuages. Je ne peux pas décrire avec des mots. C’est beaucoup trop pour cela.
Je crois que c’est le plus beau paysage qu’il m’ait été donné de voir. Je suis émue.
Je vois Meilleur Poto heureux aussi. De la beauté du paysage. Mais aussi parce qu’il a réussi à me mener jusqu’ici.
Il me désigne tous les pics au loin. Il en connaît plein. Un peu comme mon père les étoiles dans le ciel. Je ne retiens rien, mais je l’écoute. Un jour j’irai les voir de plus près.
Et puis nous descendons. Ce n’est pas que nous nous lassons du paysage, mais c’est que nous mourrons de froid. Il n’a pas gelé depuis 40 jours sur le Pic du Midi, c’est exceptionnel. Enfin, il n’avait pas gelé depuis 40 jours. Sauf ce matin.
J’ai retrouvé mes poumons, mes jambes et mon sourire. J’ai une bonne descente. C’est un peu comme la bière.
Nous nous arrêtons dans l’ancien refuge. Mon ami me montre les vautours qui attendent leur festin. Enfin qui m’attendent.
- Tu as vu ? Ca descend sec par là !
- Ah oui carrément !
- Et bien on est passé par là ce matin.
- …
- Ce matin, en montant, on est passé par là.
- …
- On était en retard, tu as trop trainé. Alors on a pris un chemin intermédiaire.
- Un chemin intermédiaire ?
- Oui, pour aller plus vite.
- Je vais te tuer.
- Tu ne peux pas, tu ne sauras pas rentrer toute seule. »
Un chemin intermédiaire, c’est donc prendre en frontal la montagne à la place de prendre les lacets. C’est une façon de rendre un niveau « Piou-piou » en niveau « montagnard »...
Nous continuons. Le plan, c’était que je m’arrête au Lac d’Oncet pour lire pendant que Poto Fou se fasse plaisir à grimper partout. Mais j’ai oublié mon livre et je n’aime pas lui montrer que je ne suis pas invulnérable. Alors je le suis.
Nous croisons une course. Je salue tous les coureurs. En montagne, on dit « bonjour » à tout le monde. Il râle, je ris. En pleine crise d’autisme, il change de sentier pour ne croiser personne.
Nous passons un col, puis un autre. Je rame un peu, mais moins que ce matin. Nous ne suivons pas là de chemin intermédiaire (il fait jour, je m’en apercevrais, il n’ose sûrement pas!).
Je demande à faire une pause, pour manger. Insupportable Poto est outré, il est 11h30. Mais il ne bataille pas, je suis chiante quand j’ai faim (et quand j’ai envie de dormir, et quand j’ai envie de faire pipi). Nous nous arrêtons en plein soleil et nous avalons nos sandwichs. Et une bière pour lui. J’hésite pour la mienne. Soit je la bois, mon sac sera moins lourd et je meurs d’un coma éthylique là-haut. Soit je ne la bois pas, mon sac sera toujours aussi lourd et je meurs d’un lumbago.
On ne meurt pas d’un lumbago, je laisse donc ma bière tranquille.
Nous repartons. J’ai mal au genou.
Je boitille, mais j’avance. Il prend beaucoup d’avance sur moi et m’attend en bas d’un pierrier. La loose. Je déteste ça. Il y a deux (vieilles) randonneuses qui nous rejoignent. Infecte Poto part le premier. En un rien de temps, il est en haut.
Moi, j’avance, régulièrement, en râlant, et en essayant de déplacer ma jambe sans trop plier le genou. Facile dans les pierres, évidemment. Je distance les randonneuses. Je suis contente quand même.
En haut, je douille. Monter, ça allait. Descendre, c’est compliqué. A chaque fois que je pose le pied, ça lance dans toute la jambe. C’est dommage, le Lac Bleu est à 20 minutes en descente. Mon Fondu de Poto va courir torse nu sur les crêtes pour s’occuper, moi je réfléchis assise sur un rocher.
Les deux randonneuses arrivent à mon niveau.
« On vous a vu grimper, vous allez vite ! Par contre, votre ami est fou non ?
- Tout à fait ! »
Elles me dépannent en bandage et doliprane. Quand Poto Désaxé redescend de sa crête, je suis prête à repartir. Il ne veut plus aller au Lac Bleu. Il est persuadé que je vais rentrer en hélico. Pour de vrai.
Je râlote et je repars pour lui montrer que je n’ai aucun problème. Pas bien loin car je ne sais pas de quel côté aller.
Alors comme depuis 5h00 ce matin, je le suis. Plus le temps passe, moins je marche vite. Il avait raison. Le bougre. Je ne pouvais pas aller jusqu’au Lac Bleu.
Samedi 15h30
Nous arrivons au camping-car. Je suis en petits morceaux. Doubler le troupeau du 3ème âge en déambulateur m’a pris mes dernières forces. Je m’écroule sur la banquette. Je ne sais pas ce que fait Poto Idiot dehors. (le lendemain, quand les courbatures m’ont réveillée, j’ai appris qu’il s’étirait à ce moment-là…)
Dimanche midi
Nous sommes rentrés dans notre Gers profond. Le père de mon ami me demande comment ça c’est passé. Je lui explique le sentier intermédiaire.
« Mais ça va pas ? Tu l’as suivi ? Mais faut pas le suivre ! Il est complètement fou ! »
Conclusion
- Il faut se méfier des randonnées Piou-piou. Et des sentiers intermédiaires
- Regarder les étoiles permet de faire des pauses
- Le lever du soleil sur la mer de nuages, c’est très très très beau. Et très froid
- Toujours avoir un bandage et des dolipranes dans son sac à dos, c’est plus utile que la bière
- Penser à s’étirer en rentrant
- Je n’ai toujours pas vu le Lac Bleu…
- Meilleur Poto, même après tout ce que j’ai dit sur lui, est le meilleur de tous les potos !
Arf le duo d’enfer insupportable est reconnaissable 😁
J'adore !!! Quelques passages m'ont bien fait rire 😅😅😅