Crédit photo: le Gnome
Je n’ai pas écrit d’articles depuis un petit moment. La faute à la grippe qui m’a terrassée.
Ces quelques jours au fond de mon lit m’ont vu collectionner les mouchoirs sur la table de nuit, écraser ma pauvre poitrine asthmatique à chaque toux, geindre sous mes trois couettes en expérimentant le chaud à l’extérieur et le froid à l’intérieur, et imaginer, délire de fièvre oblige, que la tuberculose ne tardera pas à m’emporter.
Dans un éclair de lucidité, je me suis quand même opposée à une mort certaine et imminente*. Il était hors de question de trépasser avant au moins un de mes personnages. Et oui, je fais partie de ces auteurs qui n’ont jamais tué qui que ce soit, même dans un bouquin.
Sam au pays des Bisounours
Alors je vous rassure de suite, j’ai accès aux médias (même si je n’ai pas de télé), donc je sais que le monde est pourri.
En revanche, je vis dans une petite cabane en bois avec mon adorable Gnome et mon chat affectueux (surtout pour avoir ses croquettes), dans un village de campagne où la violence la plus extrême se résume à exploser un moustique tigre en plein vol.
Mon voisin de 90 ans passés complimente la beauté de ma capeline à chaque fois qu’il me croise. Celui de 80 ans m’offre radis et tomates, et du lilas à la saison. Mon jardin est fleuri. Les oiseaux et les papillons volent. Et en plus, le soleil brille, je vis dans le Sud-Ouest.
Ma famille, peut-être éventuellement un poil perchée, m’a toujours soutenue même quand ils ne comprennent pas forcément de quelle manière je me suis fourrée dans telle ou telle situation.
Mes amis me supportent, et comme ils ont choisi de me supporter, je me dis qu’ils tiennent à moi.
Bref, je vis dans un monde de bisounours, avec des arcs en ciel, des licornes, des petits ballons en forme de cœur qui flottent sous une pluie de paillettes.
Non mais comment voulez-vous que je tue quelqu’un avec tout ça ???
Mes personnages, ces amis imaginaires
J’ai d’abord une idée qui pointe dans mon cerveau, souvent au fil d’une conversation. Elle trotte, grandit, se transforme et devient progressivement plus complexe. J’adore cette sensation de l’histoire qui va commencer. J’ai alors une notion assez nette du début et de la fin (même si parfois les fins me font la surprise de s’écrire toute seule à l’encontre de ce que j’avais prévu!). Je sais que le milieu va se dérouler tranquillement, au jour le jour, pour joindre les deux bouts.
Les personnages vont prendre forme là dedans. Ils ne sont au début que des balbutiements, mélanges d’émotions et de traits de caractère un peu timides. Puis ils évoluent, s’affirment, deviennent des personnes à part entière avec une histoire, des sentiments et des espoirs. Ce sont des petits morceaux de moi. Comment parvenir à les tuer ?
Essai sur un méchant personnage
Un bouquin sans un ou deux morts pour maintenir le suspens, pincer furieusement le cœur du lecteur ou tordre le ventre d’angoisse, c’est quand même un peu trop plan-plan !
J’ai décidé d’y aller tranquille et commencé à m’entrainer sur un méchant personnage. Sauf que voilà, même écueil. Dans mon monde de Bisounours, comment envisager un perso sombre et machiavélique, vicieux et pervers, agressif et détestable ?
Je me suis fait force et j’ai démarré une nouvelle par l’enfance malheureuse d’une héroïne qui allait devenir tellement inhumaine que la tuer serait un soulagement.
J’ai du me planter quelque part. Elle a fini avec un chat ronronnant sur les genoux dans une chaise à bascule. Et en plus, je ne suis même pas parvenue à en faire une vraie pourrie. Je lui ai inventé un petit démon caché sous son buffet, qui lui soufflait sa méchanceté.
Essai sur un méchant personnage, version II
J’étais motivée à fond ! Des méchants d’abord, j’en ai déjà rencontré ! Alors j’ai mélangé des gens pas très sympas que j’ai pu croiser en route (en ouvrant mon parapluie de bisounours, ils ne m’atteignent pas!), je lui ai rajouté un statut de « dictatrice », afin de n’avoir absolument aucun remord, et je l’ai balancé dans un monde parallèle. En fin de récit, mes héros ont grimpé tout en haut de son château, et avec une arme secrète (même si je doute de la valeur littéraire de ce roman jamais corrigé, on ne sait jamais, je maintiens le suspens!), je l’ai fait sombrer dans la folie. Impossible de l’exterminer. Ce n’est pas qu’elle ne le méritait pas, c’est juste que mes héros étaient beaucoup trop gentils pour la tuer!
La mort d’un inconnu
Lasse de vouloir anéantir, en vain, mes personnages, je me suis engouffrée dans la rédaction d’une petite nouvelle pour un concours. J’avais le début (bien évidemment, puis qu’il était imposé), le milieu s’est déroulé tranquillement entre folie et fantastique (ah j’adore faire ça ! J’ai lu beaucoup trop de Stephen King étant jeune je pense!), et la fin s’est écrite presque sans mon consentement. Et bam, le fiancé de l’héroïne est mort à la guerre. Et même que c’était après une longue agonie. Bon, je ne l’avais pas évoqué de tout le récit, je n’ai donc pas eu le temps de m’y attacher. Et puis de toute façon, personne n’a jamais compris cette nouvelle. C’est un mort pour rien. Il ne compte pas !
Noyade de la moitié de l’Espagne
Mon Gnome me réclame parfois de lui lire ce que j’écris* . Je censure un peu, je saute un ou deux passages, mais en général, j’accède à sa demande.
Ce soir-là, j’étais en train de lui distiller chapitre par chapitre une histoire de science fiction, quand soudain, il m’a coupé, outré :
« Maman ! Comment tu as osé ? Tu as noyé la moitié de l’Espagne et des espagnols !
- Oui, enfin c’était pour le livre ! Tu comprends, il y a eu un tremblement de terre, un glissement de terrain, et voilà quoi. L’Espagne, elle est sous l’océan.
- Le désert des Bardenas aussi ?
- Oui.
- Et Pampelune ?
- Oui.
- La Catalogne ?
- Oui. La Catalogne également est sous l’eau.
- Pas Tarragone quand même ?
- Euh…
- Ah non, pas Tarragone. Il y a des vestiges romains hyper importants ! Et puis tu te souviens de la serveuse du snack ? Celle qui te rechargeait ton téléphone ? Elle te rend service, et toi tu la noies !
- Bon d’accord, pas Tarragone. »
J’ai donc réussi, sans aucunement m’émouvoir ni percuter que j’avais (enfin) tuer des personnages, à noyer la péninsule Ibérique et ses habitants. Un vrai génocide. Sauf Tarragone et la serveuse qui rechargeait mon portable et faisait des yeux de ketchup sur les huevos du Gnome.
Moi je dis, ne me laissez pas avec de la fièvre, je suis dangereuse !
* ouais je sais, je suis une malade scandaleuse…
* surtout pour repousser l’heure du coucher. Mon Gnome, si tu lis ça, ne crois pas que Maman soit aussi naïve que ça!
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