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Photo du rédacteurSamantha Liger

Comment j'ai survécu à ma première remise de prix d'un concours littéraire

Dernière mise à jour : 31 oct. 2020



J-4


18h. Mon Gnome n’est pas encore rentré du collège. Je me pose sur le canapé et j’ouvre ma boite mail avant que mon fils ne m’attaque avec la troisième Loi de Newton et les subtilités de la conjugaison au passé simple. Entre deux mails pro, un de la Medialudo de la ville de Blagnac me remercie de ma participation au concours littéraire et m’annonce que ma nouvelle fait partie des cinq lauréates.

18h15. Mon Gnome déboule dans notre cabane et me demande pourquoi je suis greffée à mon téléphone, la bouche ouverte.

« Je crois que j’ai une bonne nouvelle ! »

Je suis sûre qu’il s’imagine qu’on a gagné un an de plats chinois à emporter, qu’un marchand de glace vient de s’installer sur la place du village ou que je vais (enfin) prendre des cours de cuisine.

Je lui demande de vérifier sur Ecosia la signification de « lauréat », on ne sait jamais. Et encore, je ne lui ai pas demandé de contrôler sur ma carte d’identité si je n’avais pas changé de nom.


J-2


J’ai envoyé la capture d’écran du mail à tout mon entourage. Je découvre en même temps que la remise des prix est dans deux jours. Je regarde sur Map’s, c’est à 2h03, 148 km. Le Gnome est content, cela veut dire que nous allons probablement aller au resto. Il veut absolument gouter la saucisse de Toulouse.


Jour J


10h30. J’ouvre un œil. Je n’ai pas entendu le réveil. Ce n’est pas très grave, nous devons y être pour 16h. Comme je suis une femme organisée, que je dois amener avec moi mon Gnome organisé et aller chercher sur Toulouse ma nièce* tout aussi organisée, j’ai décidé de partir à 12h30, ce qui me laissera une bonne heure d’avance pour parer à tout imprévu.

13h. Nous décollons de mon fin fond du Gers. La demi-heure de retard sur le planning est due à un sondage in extremis pour la grande question « cheveux lâches ou cheveux attachés ? ». C’est donc en courant sous la pluie, les cheveux s’échappant de la barrette, mes chaussures pleines de boue que j’entre dans la voiture sous l’œil impatient de mon Gnome qui me demande quand est-ce que l’on mange.

13h20. Première pause. Nous mangeons nos sandwichs rosette cornichons dans le coffre de ma voiture. J’envoie un message à ma nièce pour dire que je suis à la bourre. Elle m’explique au passage qu’il faut faire attention lorsque j’arriverais chez elle, il y a un trottoir qui traverse la route (?!)

13h30. Je maille mes collants.

14h23. Le voyant de la réserve d’essence s’allume

14h38. Je déboule dans un supermarché, chrono en main, me jette sur une boite de collants, cours dans le rayon, fais demi-tour pour reposer la-dite boite et en chopper une à ma taille et je bifurque en caisse.

14h42. Je suis toujours en caisse. Une dame a demandé des factures séparées pour son asso...

14h46. Je suis toujours en caisse. La personne devant moi paye en coupons réduction…

14h48. Je cours sur ma voiture, tente une percée vers la station service, mais peine perdue, il y a autant de monde que lors d’une peur de rupture des stocks en pleine grève des routiers espagnols (ou d’une épidémie de Coronavirus. Au choix, tout dépend de l’époque où vous lisez cet article!). On verra à la prochaine station service. Le Gnome ne stresse pas, il mange des bretzels.

15h18. Il n’y avait pas de prochaine station service. Sauf celle que je viens de dépasser sur le périph’ de Toulouse, mais c’est trop tard.

15h26. J’évite de justesse le trottoir qui traverse la route non loin de chez ma nièce. Mon Gnome l’appelle. Elle est en retard car son chaton a disparu dans son 25m2. J’enfile mes collants sur le parking de But. Nous repartons. Je grille une priorité. J'entre dans une station service par la mauvaise entrée et je sauve les enfants de devoir pousser la voiture.

16h10. Nous arrivons à la Medialudo de Blagnac. Nous nous perdons. Nous tournons en rond, puis nous trouvons l’endroit où Manon Fargetton s’exprime. Nous nous asseyons au dernier rang, le plus discrètement possible. Mon Gnome me glisse :

« Ouf je suis rassuré ! Tu ne vas pas tomber quand ils vont t’appeler. Il n’y a pas d’estrade. »

J’avoue, j’ai pensé la même chose que lui.


La remise des prix


Manon Fargetton, romancière, explique à une petite assemblée ses processus d’écriture. Ses rituels. Ses débuts. La structuration et l’anticipation de ses récits. La part d’elle-même qu’elle met dans chacun de ses personnages. Le monde de l’édition. Ses outils. Ses émotions en écrivant. Le long travail de correction. L’écriture à quatre mains. Son discours me passionne. Mon Gnome me glisse « Elle parle de toi non ? ». Non, mon gamin. Mais je crois que nous parlons le même langage. Je crois que moi aussi je suis une auteure. Même si je n’ai pas écrit de Best-seller. Même si je n’ai ni le talent ni l’expérience des écrivains dont je raffole. Et même si je suis bien incapable d’anticiper quoique ce soit dans mes récits qui s’écrivent tout seul ! Mais par contre, ce truc, là en moi, qui me pousse à écrire, c’est cela que mon fils entend dans ces paroles.


Et puis tout le monde se tait et se regarde, avant que les organisatrices expliquent un peu la genèse du concours. Le festival de lecture. La recherche de la marraine. Le choix du thème « Fin d’un monde ». Les cinquante-six nouvelles reçues. Les nuits blanches dues au fait de lire tous ces récits pas très optimistes. Les âpres discussions pour sélectionner dix nouvelles sur le lot. La cohésion qui s’est créée lors de cette belle aventure. L’envoi des dix élues à la marraine et présidente du jury, Manon Fargetton. Puis son choix à elle.


Les deux nominées dans la catégorie des 10-15 ans sont appelées. Des petites qui ont réussi à s’approprier le thème d’une façon très personnelle. La gagnante a tout juste 14 ans. Elle a développé l’idée d’une rupture. La fin d’un monde d’amour. Je suis soufflée. Moi, avec ma dystopie classique, je suis restée très scolaire !


Dans la catégorie des plus de 15 ans, le premier prix est décerné à Samantha Liger. C’est moi ça ! Je choppe au passage le regard de ma nièce et de mon fils qui ont l’air de me dire « Hé ! Mais c’est toi ça ! ». Je me lève, ne m’entrave pas dans l’estrade parce qu’il n’y en a pas. Les gens applaudissent. Je souris bêtement et récupère un sac en tissu avec mon prix. J’ai juste le temps de penser que c’est une bonne chose parce que le mien, celui qui contient tous les jours mes bouquins, mes carnets, mon agenda de princesse et tout mon bazar, est en train de rendre l’âme. Puis quand même, j’écoute ce que raconte la présidente du jury.



Attention, spoiler !!!

« Pendant toute l’histoire, on croit que cela va bien se finir. Et la fin… La fin, elle est glaçante ! »


Oh ! Mais on parle de ma nouvelle à moi! Avec enthousiasme ! Je ne sais exactement mettre des mots sur mes émotions. C’est juste que je souris avec mon sourire niais (ceux qui me connaissent bien savent exactement à quoi il ressemble!).


Les deux autres lauréats de ma catégorie nous rejoignent. Deux hommes. Des grands. Je me fais la réflexion que comme d’habitude, je suis la plus petite. Même la jeune fille de 14 ans me dépasse. Je m’accroche à mon sac pendant que la lecture publique des extraits des nouvelles lauréates a commencé. Je suis impressionnée.


Manon (Ben ouais, juste le prénom et on se tutoie maintenant, carrément) commence à lire un extrait de ma nouvelle, extrait tiré du début. Ses années de théâtre la rendent beaucoup plus vivante que lorsque je la lisais d’un ton monocorde pour essayer d’en placer les virgules correctement.


« Je ne lève pas la tête tout de suite lorsque j’entends hurler. Je ne veux pas abîmer mes souliers sur les pierres et les bouts de ferraille que l’on trouve dans chacune des rues de TLS. Le cri se transforme en un mot que seule ma grand-mère dit quelquefois quand elle nous conte de vieilles légendes au coin du poêle. Je croise le regard bleu du jeune homme au poing levé qui hurle « Toulouse libre! ». Le temps s’arrête un instant, tandis qu’il me sourit d’un air angélique du haut des marches de l’hôpital. Je lui souris aussi. Mes collègues, avec leurs blouses blanches, le frappent au visage. Je baisse les yeux. Je devrai mourir d’avoir eu un geste de sympathie envers un habitant de la Rive Gauche. »


Cela fait battre mon cœur. C’est la première fois que j’entends quelqu’un d’autre que moi me lire. Je sens la petite assemblée frémir sur « Toulouse libre ». Ils applaudissent à la fin de la lecture. Mon fils et ma nièce sourient. Peut-être le même sourire benêt que moi.

Encore les applaudissements lorsque tout est fini et que les gens se lèvent. Puis les photos. Avec les auteurs. Les organisatrices. La question pour tous. « Comment ça a commencé l’écriture ? ». Au lycée. Les paroles des chansons. Les poèmes. Les contes le soir à l’internat. Les petits bouts d’histoires. Les romans inachevés. Nous parlons tous en pagaille. Ca rebondit. Nous avons tous des vécus différents, des âges différents, des rapports à l’écriture différents. Mais nous sommes tous des auteurs, des raconteurs d’histoires, des inventeurs de mondes.


Notre partage d'expérience ressemble à peu près à ça :


« Je n’ai jamais fini un roman. ».

– Mais tu as 14 ans ! À ton âge, j’avais du mal à finir de raconter ma journée dans mon journal intime.

– Et au pire, ne t’inquiète pas. Tout ça, tu mets au frigo. Moi, j’ai un dossier dans mon ordi avec tous mes débuts ratés, mes milieux qui ne se déroulent pas et mes fins sans le reste. Un jour, tu sors des trucs du frigo, tu les réécris, les agence, les développe et tu finiras un roman.

– Tu passes au micro-onde ?

– Ah ah oui ! C’est peut-être ça. Même si c’est mieux à la broche quand même.

– C’est douloureux aussi. Sur une nouvelle, c’est laborieux. Mais alors sur un roman ? Comment on fait pour écrire tout un roman ?

– Des échéances.

– Beurk les échéances !

– Tu ne finis pas tes romans, car tu n’as pas de fin. Pense ta fin avant de l’écrire. Ton début, ton milieu et ta fin. Et tu finiras tes romans.

– Ah non, je ne suis pas d’accord ! Mes fins, elles s’écrivent toutes seules. Je n’y peux rien !

– Mais oui ta fin ! Elle est glaçante ! Vas-y raconte ! Comment tu as écrit une fin comme cela ? Pendant toute l’histoire, j’ai vraiment cru qu’elle allait bien se finir. Comment tu as fait ?

– Elle devait vraiment bien se finir. Et puis, ce jour-là, j’étais en colère. Alors vlam les personnages ! Ce sont eux qui ont pris dans les dents !

– Eh bien, je ne sais pas qui t’a mis en colère, mais pense à le remercier ! »*


Et voilà, c’est terminé. Une édition brochée sera disponible à la Médialudo de Blagnac, et les cinq nouvelles lauréates seront mises en ligne sur leur site prochainement. J’ai un livre dédicacé. Un sac rempli de carnet, stylos, batterie de secours et places de ciné. La promesse de rester en contact et d’être membre du jury l’année prochaine (« Enfin, si le thème du concours ne te plait pas et que tu ne veux pas concourir ! »). Et des étoiles dans les yeux.


« On mange quoi ce soir ? »

Merci le Gnome et ma nièce pour votre soutien. Vous méritez bien un resto !


Et merci évidemment le personnel de la Medialudo et les organisatrices pour leur travail et leur accueil, Manon pour ses conseils et encouragements, Magali et Charlotte qui m’ont corrigé en urgence cette nouvelle la veille de l’envoyer (ouais, comme d’habitude…) et toutes les personnes qui me soutiennent (et me supportent) quotidiennement.


À très vite !

Sam


* Ma nièce, vous en avez déjà entendu parler. J’ai traversé le nord de l’Espagne avec elle, et j’en avais déjà conté les aventures ici.

* Petite pensée pour mon chéri d’il y a deux ans : merci de m’avoir mis en colère ce jour-là !

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